Ateliers populaires de philosophie
Quatrième cycle, du lundi 9 janvier au lundi 30 janvier 2012
Qu’est-ce que penser librement ?
par Nathalie Monnin
Professeur de philosophie au lycée Chaptal à Saint Brieuc
Infos pratiques :
Lieu : Auditorium Paul Ricœur au lycée Zola, Avenue Janvier, Rennes
Horaires : tous les lundi, 18h-20h (hors vacances scolaires)
Entrée libre et gratuite, renseignements et contact : 06 11 14 23 70
Programme des ateliers populaires de philosophie 2011-2012
Présentation de l’atelier :
On pourrait croire que la pensée, contrairement à un corps, ne peut subir de contraintes : immatérielle, comment l’attacher et la guider ? Il semble donc, à première vue, que de nos pensées, nous soyons tout à fait libres.
Mais que faut-il entendre par cette idée de liberté accolée à la pensée ? Suffit-il de ne pas être ou se sentir contraint pour, réellement, ne pas l’être ? Ou bien, plutôt, et plus insidieusement, la pensée n’est-elle pas plus en mesure qu’un corps de subir des contraintes invisibles, justement parce qu’elle-même, immatérielle, est aussi invisible ? Autant les menottes, à nos poignets, se voient, autant nos préjugés nous sont invisibles – à nous, et parfois même ou peut-être toujours, à notre entourage.
Dans ces conditions, où les contraintes ou aliénations subies par la pensée ne pourraient pas se voir, se posent deux questions :
1) comment a-t-on pu parvenir au soupçon que la pensée pourrait ou aurait pu ne pas être libre si ses chaines nous sont invisibles ?
2) Admettons qu’on puisse détecter la présence de ces chaînes : comment s’en libérer ? Et comment être sûr que d’autres chaînes n’auront pas surgi entre temps ?
Ce qui nous amène à notre ultime question : une pensée libre est-elle possible ? Et si oui, que serait-ce ? À quoi se verrait-elle ? Peut-on définir des critères de reconnaissance d’une libre pensée ?
Mais après tout, pourrait-on dire, qu’a-t-on à faire de toutes ces questions, et de la dernière en particulier : pourquoi vouloir penser librement ?
Nous tenterons de répondre à ces questions en 4 temps :
1- Historiquement, la liberté de penser a une naissance, parce que cette liberté est d’abord une libération : celle de la parole avec l’invention de la démocratie, au Vème siècle avant JC. La naissance de la philosophie peut être considérée comme la naissance d’une certaine prise de conscience de ce qu’est une pensée non libre et, par opposition, des conditions d’apparition d’une pensée libre. On étudiera donc, dans un premier temps, trois conditions à cette libération (économique, politique et psychologique).
2- La naissance historique de la philosophie nous montre trois conditions d’apparition d’une pensée libre. Mais qu’en est-il dans une vie : comment accède-t-on à la liberté de penser ? On verra que c’est la capacité à interroger qui constitue l’essence d’une pensée libre. Cependant, cette capacité, si elle apparaît déjà dans l’enfance, est rapidement recouverte par l’éducation, la culture, l’existence en général. Comment expliquer cela ?
3- C’est la notion de conscience qu’il conviendra d’interroger pour en comprendre l’essence et la structure. On verra alors comment notre perception du monde ne peut jamais être neutre, mais est recouverte par notre culture et nos désirs. La question se posera alors de savoir si l’idée qu’une pensée puisse être libre (libérée de toute influence) n’est pas une belle illusion.
4- Avec l’exemple d’Albert Speer, on étudiera l’histoire d’une illusion, ce qui nous permettra de mieux comprendre la structure d’une conscience et son désir de liberté.
Bibliographie indicative :
– Jacqueline de Romilly, Les grands sophistes dans l’Athènes de Périclès, Éd. de Fallois, 1988. J. de Romilly montre dans ce livre comment l’apparition de la démocratie à Athènes à libérer la parole, nécessitant la mise en place d’un apprentissage du bien parler pour convaincre, ce qui entraine l’apparition de questions de méthode et de déontologie en ce qui concerne notre rapport à la vérité.
– Platon, République, début du livre VII : le début de ce livre raconte l’allégorie de la caverne, ou comment on doit sortir de nos préjugés pour atteindre, par une ascèse, la vérité. Le questionnement sur la vérité de notre rapport au monde passe ainsi par un questionnement sur nos propres croyances et préjugés.
– Descartes, Discours de la méthode, IIème partie. Retraçant son histoire intellectuelle, Descartes montre comment la question de la vérité, la plus importante à se yeux, le conduit à élaborer les règles d’une méthode qui l’assurera à coup sûr d’atteindre son but (la vérité).
– Kant, Qu’est-ce que les Lumières ? et Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ? Dans ces deux articles, Kant incite le peuple à penser par lui-même, par ses propres lumières. Il met ainsi en place les conditions d’une pensée libre et les raisons des difficultés à y parvenir.
– Sartre, L’être et le néant, Première partie, chapitre I, 1 (L’interrogation) et chapitre II (La mauvaise foi). Le premier chapitre, qui reprend la démarche de Heidegger dans Être et temps, montre comment l’interrogation constitue l’essence de l’homme. Le chapitre II montre toute la difficulté d’une pensée libre, car sans cesse empêtrée dans sa mauvaise foi. Celle-ci, pour Sartre, n’a rien d’une mauvaise volonté, mais constitue l’essence même de notre être, tout entier mû par ses désirs et ne pouvant s’en extraire. C’est ainsi, paradoxalement, parce que nous sommes les seuls êtres libres parmi les vivants que nous sommes aussi nécessairement aliénés, l’aliénation n’étant que le revers de la liberté. La question se posera alors pour Sartre de savoir comment on pourrait parvenir à une pensée pure.
– Albert Speer, Au cœur du Troisième Reich, Fayard / Pluriel, 2011.
Ce témoignage nous intéresse pour comprendre comment les illusions bercent notre vie, alors même que nous croyons fermement être d’une grande lucidité et, comme le dit Speer, « regarder la réalité en face ». Écrit en prison, après coup, donc, cette tardive prise de conscience, si lucide qu’elle veuille être, n’est encore pas exempte d’une certain nombre d’illusions – ce qui montre comment le régime normal d’une conscience, produisant sans cesse son lot d’illusions pour pouvoir supporter la vie. Intéressant d’un point de vue historique, ce témoignage nous intéresse ici directement pour saisir l’histoire d’une conscience et de son rapport à la vérité.
Cet Atelier se conclura par la projection du film La Vague, de Dennis Gansel
au cinéma d’Acigné, le mardi 31 janvier, à 20h45.